Maintien des prestations de prévoyance après la fin de la période de portabilité

 
Les faits, la procédure

L'article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale relatif à la portabilité des garanties permet aux salariés garantis collectivement de bénéficier du maintien à titre gratuit de leur couverture santé et prévoyance en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par l'assurance chômage.

 

Placée en arrêt maladie en octobre 2016, une salariée a perçu des indemnités journalières de la caisse primaire jusqu'au 14 mars 2018 avant d'être placée en invalidité. Entre-temps, à compter du 15 mars 2018, elle a perçu des allocations de chômage. L'assureur (Axa France vie) lui a versé des indemnités au titre de la garantie « incapacité temporaire de travail » pour la période courant jusqu'au 14 mars 2018 mais a refusé de garantir l'incapacité postérieure à cette date ainsi que l'invalidité subséquente.

 

La salariée assigne l'assureur devant le tribunal judiciaire en exécution de ces garanties.

 

La salariée fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à faire condamner l'assureur à lui régler les sommes lui restant dues en application des garanties incapacité et invalidité, alors « que lorsque des salariés sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la cessation de la période de portabilité des droits consécutive à celle du contrat de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation de travail ou pendant la période de portabilité des droits ; qu'il ne peut être dérogé à ce principe par une stipulation contractuelle ; qu'il en résulte que l'assureur est tenu de prendre en charge, au titre des prestations différées, les indemnités journalières dues à la suite d'un arrêt de travail intervenu après la période de portabilité des droits, dès lors que cet arrêt de travail est la suite d'un premier arrêt de travail consécutif à une pathologie découverte pendant la période de garantie et ayant donné lieu au versement de prestations de la part de l'assureur.

 

Pour rejeter les demandes, la cour d'appel a énoncé que lorsque l'intéressée est placée en arrêt de travail à compter du 21 septembre 2018, cet arrêt, quels qu'en soient la raison et le lien avec la pathologie qui avait motivé l'arrêt de travail pour la période du 16 octobre 2016 au 14 mars 2018, survient après la fin de la période de portabilité. De surcroît, a ajouté la cour d'appel, le contrat d'assurance n'assure pas la survenance d'une maladie mais le risque d'incapacité temporaire de travail.

 

Elle a ajouté que le risque « invalidité permanente » prévu au contrat d'assurance s'est réalisé le 17 octobre 2019, soit après la fin de la période de portabilité.

 
La décision

L'arrêt de la Cour d'appel est cassé aux termes d'une motivation très détaillée fondée sur les articles L. 911-2 et L. 911-8 du Code de la sécurité sociale. La Cour de cassation rappelle en particulier que selon une jurisprudence constante, lorsque les salariés sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la cessation de la relation de travail est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant cette relation (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-12.064).

 

Or cette règle, selon la Cour de cassation, peut être étendue aux prestations immédiates ou différées, nées ou acquises durant la période de portabilité des garanties.

 

Certes, le seul libellé de la loi ne permet pas de donner une portée certaine à la notion de maintien des garanties. Toutefois, ajoute la Cour de cassation, il ressort de l'exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 que ses dispositions visent à sécuriser les parcours professionnels grâce à des droits nouveaux qui profitent à tous les salariés, en particulier aux plus précaires. L'ANI du 11 janvier 2008, à l'origine de ce texte législatif, avait en effet prévu un dispositif de portabilité afin d'éviter une rupture de tout ou partie du bénéfice de certains droits liés au contrat de travail en cas de rupture de celui-ci ouvrant droit à prise en charge par l'assurance chômage. Ce dispositif avait pour objectif, notamment, d'encourager les mobilités et de sécuriser les transitions professionnelles.

 

Il en résulte, conclut la Cour de cassation, que le législateur a entendu, sous certaines conditions et pendant une période déterminée, permettre à l'ancien salarié, pris en charge par le régime d'assurance chômage, de bénéficier de la même couverture que lorsqu'il était salarié au titre, notamment, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité.

 

Dès lors, afin de donner leur plein effet aux objectifs poursuivis par le législateur, l'article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale doit être interprété en ce sens que la cessation de la période de portabilité des garanties est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées pendant la relation de travail ou durant la période de portabilité des garanties.

 

En l'espèce, il appartiendra à la cour de renvoi de rechercher si l'arrêt de travail du 21 septembre 2018 au 16 octobre 2019 et son classement en invalidité à compter du 17 octobre 2019 n'étaient pas consécutifs à la pathologie ayant justifié le premier arrêt de travail prescrit au cours de la période de portabilité des garanties et ayant donné lieu au versement de prestations sociales, condition requise par le contrat. Auquel cas elle aura droit aux prestations invalidité permanente et incapacité temporaire.

 
L'analyse

En matière de prévoyance collective, l'article 7 de la loi Évin interdit aux assureurs de se fonder sur la résiliation du contrat d'assurance pour cesser le versement des prestations.


La Cour de cassation a ensuite confirmé l'application de ce texte à de multiples hypothèses (rechute après la résiliation liée à un sinistre intervenu avant la résiliation, invalidité suivant une incapacité,

revalorisations, etc.). En parallèle, sans même viser l'article 7, elle a fait application de ce principe de maintien à d'autres situations, telles que la rupture du contrat de travail.


Dans cet arrêt, la Cour de cassation étend pour la première fois, l'obligation de maintien au cas d'une rechute et d'une invalidité intervenues après la fin de la portabilité.


Le raisonnement de la deuxième chambre civile est assez simple : la portabilité a pour effet de reporter dans le temps les effets de la rupture du contrat de travail sur la couverture assurantielle des salariés.


Ayant déjà jugé que la rupture du contrat de travail ne pouvait fonder l'interruption des prestations (ni, par conséquent, le refus d'indemniser une rechute ou une invalidité ultérieure), il est parfaitement logique que la Cour considère que, de ce point de vue, la fin de la portabilité doit être traitée comme la rupture du contrat de travail.

 
Références
> Cour de cassation, Chambre civile 2, 28 mai 2025, 23-13.796

> Article L911-8 du Code de la sécurité sociale

> Article 7 loi Evin